(SCIVIQ) Solidarités, Citoyenneté et Vivre-ensemble dans les Quartiers face à la Covid-19

Porté par le Forum urbain, ce projet de recherche-action vise à comprendre les impacts de la crise dans les quartiers populaires et à imaginer des pistes d’action pour « l’après », en mobilisant des forces de recherche pluridisciplinaires et en y associant étroitement les habitants et acteurs des quartiers. Pensé en plein confinement, le projet a reçu le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt Flash « recherche et innovation COVID » en septembre 2020.

Consulter les rapports du projet SCIVIQ


La catastrophe sanitaire de la Covid-19 et les mesures de confinement mises en place par le gouvernement à partir du 16 mars 2020 ont un impact différent sur les populations, notamment en fonction de l’âge, du genre, de l’appartenance ethnique, du travail exercé, de l’accès aux soins, de la composition du ménage et du territoire habité. Les différentes enquêtes réalisées à ce jour montrent que les inégalités auxquelles sont confrontés les quartiers populaires se sont aggravées dans ce contexte.
Ce projet s’intéresse aux dynamiques développées par les associations et celles mises en place par les habitant.e.s des quartiers populaires de la Région Nouvelle-Aquitaine pour faire face à l’épidémie. Il est autant question de s’intéresser aux manières concrètes de faire face à la Covid-19 et au confinement, qu’à la manière dont cette crise est vécue par les habitant.e.s des quartiers, ce qu’elle révèle de leur rapport au territoire et, plus largement, à la citoyenneté. L’objectif est de comprendre le rôle des formes d’auto-organisation des habitant.e.s, des mobilisations associatives et des réponses des institutions publiques dans la construction d’une résilience des quartiers face à la pandémie.
En somme, il s’agit de saisir la citoyenneté « comme elle se fait », souvent « à bas bruit », en s’intéressant autant aux ressources mobilisées dans les quartiers face à la Covid-19 qu’aux tensions émergeant dans ce contexte. Il s’agira également de travailler sur la capacité d’agir de ces organisations locales, impliquant souvent des habitant.e.s des quartiers, en tant que bénéficiaires ou au sein-même de leur gouvernance, et plus largement les acteurs et actrices de la Politique de la Ville, qui font face à des défis nouveaux et des problématiques vraisemblablement accentuées.
Dans une démarche de recherche-action, la réflexion sera menée avec les associations et les habitant.e.s impliqué.es dans les quartiers, ainsi qu’avec les différents acteurs et actrices politiques, socio-économiques et associatifs. L’idée est de partir avec eux des problèmes tels qu’ils se posent dans le quotidien des habitant.e.s des quartiers, pour définir les axes de recherche thématiques autour desquels s’articulera le projet.

Méthodologie et équipe-projet

Cette recherche est projetée sur 18 mois en trois phases successives :
(1) un état des lieux et diagnostic territorial (fin 2020 – printemps 2021)
(2) des études de cas et l’analyse d’expériences (printemps 2021 – fin 2021)
(3) la synthèse des résultats, la réflexion sur « l’après » et la valorisation des travaux (début 2022 – printemps 2022)

Il mobilise quotidiennement une équipe de chercheures pluridisciplinaires, composée de :
Jessica Brandler, sociologue, chargée d’enquête à Bordeaux et coordinatrice du projet SCIVIQ
Anne-Laure Legendre, géographe, chargée d’enquête à La Rochelle, en post-doc au Forum urbain
Sofia Tagliani, étudiante en master 2 de science politique à l’Université de Turin, stagiaire de mars à juillet 2021
Yamissa Ouattara, étudiant en master 1 « droit et action publique territoriale et environnementale » à La Rochelle Université d’avril à mai 2021 ;

et plus ponctuellement, des chercheur.e.s au sein d’un comité scientifique composé de :
Gilles Pinson, politiste, enseignant-chercheur Sciences Po Bordeaux / Centre Emile Durkheim
Alice Mazeaud, politiste, enseignante-chercheure Université de La Rochelle / Centre d’Etudes Juridiques et Politiques
Marina Honta, sociologue, enseignante-chercheure Université de Bordeaux / Centre Emile Durkheim
Thierry Oblet, sociologue, enseignant-chercheur Université de Bordeaux / Centre Emile Durkheim
Denis Merklen, politiste, enseignant-chercheur Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 / Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine
Emmanuelle Auras, sociologue, enseignante-chercheure détachée à l’Université de La Rochelle / LIttoral ENvironnement et Sociétés

Modalités de valorisation

Le projet prévoit d’être valorisé au fil de l’eau à travers la publication et la diffusion de courts articles donnant à voir la recherche « en train de se faire » et de lettres d’informations sur les avancées du projet à destination des parties prenantes une fois tous les deux mois (voir ci-dessous dans les « Actualités »).
Par ailleurs, le Forum urbain a entamé une collaboration avec le collectif de photographes Les associés pour documenter et éclairer la recherche, en réalisant notamment des portraits audiovisuels d’acteurs et d’actrices des quartiers investigués.
A l’issue du projet, une présentation des travaux est prévue sous la forme d’une demi-journée d’intelligence collective, organisées avec les habitant.e.s et acteurs et actrices des terrains enquêtés. Les mois qui suivront permettront de travailler sur d’autres formats de restitution et de débat en lien avec le monde universitaire (colloque scientifique « Bordeaux et le populaire ») et à destination des élu.e.s et du grand public (ouvrage, manifestation dans l’espace public, rencontre, etc), dont les modalités restent encore à préciser.

Actualités

● Vivre en temps de pandémie : le regard des enfants (janvier 2021) > focus sur un partenariat mis en place avec une classe de 6ème du collège Lapierre de Lormont
● Causerie d’une pandémie : la parole aux femmes (mars 2021) > lumière sur un temps d’échange avec les habitantes des quartiers étudiés à Lormont
Causerie d’une pandémie : mettre des mots sur des images (mai 2021) > ou comment un cours de théâtre peut-être un support pour réfléchir à plusieurs au vivre-ensemble
Rencontre « Evolutions du monde associatif » (juin 2021) > retour sur un temps d’échanges avec les associations Lormontaires, organisé en partenariat avec l’IFAID qui accompagne les associations en Gironde
● Comment les enfants ont-ils et elles vécu la pandémie ? (juin 2021) > retour la restitution de 6 mois d’échanges et d’activités réflexives sur la pandémie et les solidarités en temps de crise avec les élèves d’une classe de 6ème à Lormont
Deux premières expositions cet été à La Rochelle et à Lormont ! (juillet 2021) > le projet SCIVIQ s’expose pendant la trêve estivale pour donner à voir où en sont les enquêtes en cours

Calendrier du projet

● 30 septembre 2021 : rencontre #27 du Forum urbain « Comment devient-on militant dans les quartiers populaires ? » à la salle des fêtes du Grand Parc – évènement ouvert à toutes et tous !
● 21 juin 2021 : rencontre « Évolutions du monde associatif » en partenariat avec l’IFAID, à destination des associations parties prenantes ou identifiées dans le cadre du projet
● 7 juin 2021 : restitution des travaux des élèves de la classe de 6ème du collège Lapierre à Lormont en présence de l’équipe pédagogique, de la direction de l’établissement et des élu.e.s de Lormont
● 4 mai 2021 : 2ème comité scientifique pour discuter des résultats de la première phase d’enquête
● 23 mars 2021 : causerie d’une pandémie #3 organisée avec l’association DIDEE au centre social du quartier de Génicart-Est à Lormont à l’occasion d’un « Café des parents »
● 18 mars 2021 : causerie d’une pandémie #2 organisée avec le Foyer de Jeunes Travailleurs du quartier de Villeneuve-les-Salines à La Rochelle
● 2 mars 2021 : échanges avec les jeunes en service civique au CCAS de Lormont œuvrant auprès des personnes âgées
● 10 février 2021 : causerie d’une pandémie #1, temps d’échange avec les habitant.e.s organisé avec La Composterie – Régie de quartiers de Lormont
● 9 février 2021 : 1er comité technique à Lormont, réunissant les actrices et acteurs locaux du quartier étudié (commune, CCAS, centre social, associations, bailleurs)
● 22 janvier 2021 : 1er comité technique à La Rochelle, réunissant les actrices et les acteurs locaux du quartier étudié
● 4 janvier 2021 : début d’une collaboration avec le collège Georges Lapierre à Lormont
● 27 novembre 2020 : 1er comité de pilotage réunissant les partenaires et l’équipe de recherche autour du lancement du projet
● 8 octobre 2020 : 1er comité scientifique du projet

Newsletter du projet

Lettre d’information #1 (décembre 2021)
Lettre d’information #2 (février 2021)
Lettre d’information #3 (avril 2021)
Lettre d’information #4 (juillet 2021)Vous souhaitez vous inscrire ? > Écrivez-nous à forumurbain@sciencespobordeaux.fr.

Calendrier : novembre 2020 – avril 2022

Financeur : Région Nouvelle-Aquitaine

Partenaires : Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), Pays et Quartiers de Nouvelle-Aquitaine (PQNA), Institut de Formation et d’Appui aux Initiatives de Développement (IFAID), Grand Projet des Villes Rive Droite (GPV)

Causerie d'une pandémie : la parole aux femmes

Dispositifs mis en place dans le cadre du projet de recherche-action SCIVIQ, les causeries cherchent à ouvrir un espace de parole aux habitant.e.s des quartiers populaires sur le vécu de la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons depuis un an. Grâce aux méthodes ethnographiques, un climat de confiance est instauré entre les participant.e.s. Le 23 mars 2021, une causerie était organisée par Jessica Brandler, chargée de recherche et coordinatrice du projet, dans le quartier de Génicart-Est à Lormont. Retour sur cet après-midi d’échanges, facilités par Samirah Tsitohaina, chargée de médiation en stage au Forum urbain.

Cette troisième causerie s’est tenue lors du périodique « Café des parents », organisé par le centre social du quartier porté par l’association DIDEE. Une première a eu lieu le 10 février à la Composterie – Régie de quartiers de Lormont, une seconde a été animée par Anne-Laure Legendre au Foyer de Jeunes Travailleurs du quartier de Villeneuve-les-Salines à La Rochelle et d’autres sont à prévoir dans les prochaines semaines.

Ce temps d’échanges a principalement réuni les mères du quartier, davantage habituées à côtoyer le centre social. Il a permis de relever les difficultés auxquelles elles ont fait face pendant le premier et le second confinement, et d’aborder la manière dont la gestion du quotidien a été bouleversée par la pandémie. Cet échange a permis de les questionner sur les liens qu’elles entretiennent entre elles, avec le voisinage et comment cela a participé (ou non) à la mise en place d’initiatives de solidarité entre voisin.e.s pendant la pandémie.


Dans un premier temps, cette discussion les a poussées à s’exprimer sur leur relation au quartier qui est à la fois leur lieu de vie professionnelle, pour celles qui travaillent, et là où leurs enfants vont à l’école. Elles ont évoqué le rôle important qu’a joué le centre social, avant et pendant la pandémie, en tant qu’espace d’activités et de loisirs, d’expression et de rencontre.

Il a ensuite été question des impacts de la pandémie sur leur quotidien. Elles ont témoigné de la lourdeur des contraintes liées au confinement et de comment elles s’occupaient pour faire face à la situation. L’expérience du ramadan confiné a été difficile, mais elle a aussi permis aux femmes de structurer leurs journées autour d’une cuisine-plaisir qui permettait à certaines de s’évader (elles évoquent les odeurs, les textures, etc.).

 

Un des sujets les plus marquants de cette causerie a été celui des enfants, dont les mères assument en grande partie la charge. Devant assurer « l’école à la maison » pendant le premier confinement, sans toujours être équipées pour le faire, elles se sont inquiétées des restrictions à l’école imposées par les mesures sanitaires lors du deuxième confinement. Certaines avaient même l’impression que les enfants n’allaient plus à l’école, n’ayant quasiment plus de liens, d’échanges et de partage autour de celle-ci. Mais le vécu de l' »école à la maison » varie considérablement selon que la mère travaillait ou non pendant le confinement.

Enfin, les femmes présentes ce jour-là ont échangé sur les relations qu’elles entretenaient entre elles, avec leur voisinage et comment celles-ci ont évolué avec la pandémie.

Ce temps d’échange a permis de relever différents sujets en tension dans ce quartier depuis le début de la crise de la pandémie jusqu’à aujourd’hui. La catastrophe sanitaire de la Covid-19 a eu un impact important sur le quotidien de ces habitant.e.s issus de quartiers populaires. En plus d’amplifier le sentiment de solitude des habitant.e.s, elle a renforcé une certaine mise à distance de ceux-ci vis-à-vis de leur quartier et de leur voisinage. Ce temps d’échanges a montré que les lourdes obligations du quotidien en temps de confinement ont une part importante à jouer dans le peu d’investissement dans les relations sociales au sein du quartier, bien qu’elles n’expliquent pas à elles seules, et loin de là, le difficile ancrage des habitant.e.s dans leur zone d’habitation.

Toutefois, les initiatives telles que le « Café des parents » et autres ateliers et moments conviviaux, organisés entre autres par l’association DIDEE, permettent de mettre en place des espaces de discussion et d’activités pour être à l’écoute des habitant.e.s et de leurs besoins, et alléger le poids de la pandémie le temps d’un moment.

Causerie d'une pandémie : mettre des mots sur des images

Le 19 mai 2021, quatre habitant.e.s de Lormont échangent dans la salle Ikebana leurs impressions et leurs émotions sur les transformations du vivre-ensemble depuis le début de la crise sanitaire. Un moment de réflexion et de partage co-organisé par la Cité’S Compagnie, la Régie de Quartier de Lormont-Composterie et le Forum urbain dans le cadre du projet SCIVIQ.

Quand notre vie quotidienne est chamboulée, quand on perd les repères dans un monde confronté à de nouveaux défis, pourquoi ne pas prendre le temps de partager nos préoccupations, nos réflexions, nos espoirs ? C’est dans cet esprit que la metteuse en scène et comédienne Loubna Edno-Boufar (Cité’s Compagnie, compagnie de théâtre social de proximité) et la sociologue Jessica Brandler ont co-construit cette nouvelle causerie, qui s’inscrit dans la lignée du « théâtre-forum » et alimentera l’écriture d’une pièce finale. Le « théâtre-forum » est une technique de théâtre, créée et développée par Augusto Boal, écrivain brésilien, dans les années 1970. Loubna Edno-Boufar s’en était déjà inspirée pour amener les habitant.es de différents quartiers prioritaires de la métropole bordelaise à réfléchir sur la question des inégalités femmes/hommes. Cette technique propose que les récits, les comportements et les opinions que les personnes dévoilent lors des ateliers d’expression théâtrale nourrissent la mise en scène d’un spectacle. Le public est ainsi confronté à des situations conflictuelles, peut alors imaginer des solutions et interagir avec les comédien.ne.s pour faire évoluer le scénario initial.

L’atelier d’expression théâtrale du 19 mai se présente sous la forme d’une causerie permettant d’aborder le contexte pandémique de la Covid-19, sous le prisme du vivre-ensemble. Comme pour les précédentes causeries, des supports photographiques ont été utilisés pour favoriser la prise de parole et sa circulation entre les participants. Ainsi, Loubna Edno-Boufar invite les participant.e.s à choisir parmi les photos disposées sur une grande table, des images qui évoquent des moments marquants de cette année de pandémie. A tour de rôle, chaque personne montre sa photo et explique son choix et les autres peuvent réagir, faire des liens ou ajouter des éléments. Les images sélectionnées donnent vie à un échange riche qui fait rejaillir des émotions très intimes, et qui se superposent parfois à des anecdotes drôles de la vie en pandémie. A certains moments, les photos font remonter à la surface des souvenirs plus douloureux. Certaines suscitent de fortes critiques sur la gestion étatique de la situation sanitaire. Ce sont des témoignages issus de la vie quotidienne importants à prendre en compte puisqu’ils racontent diverses facettes de notre temps présent, la période de la pandémie.

P. est le seul homme présent, d’une cinquantaine d’années. Loubna l’invite à montrer sa photo en premier, par galanterie (ce qui fait beaucoup rire les participant.e.s). Il dévoile l’image des couloirs d’un supermarché remplis de client.e.s. Il explique qu’il adore faire les courses avec son épouse, mais que c’est devenu pour lui une source d’angoisse, parfois de véritable panique. Quand il se trouve face à la foule, il est paralysé et il est obligé de partir, parce qu’il pense au risque de contagion auquel il s’expose. Il est marqué par le souvenir des personnes s’entassant dans les couloirs, sans respecter le sens des flèches qui auraient pourtant dû canaliser le passage. Les autres participant.e.s confirment que le sentiment de peur a accompagné la population tout au long de l’année. La peur est encore bien présente, surtout lorsque les individu.e.s ont une santé fragile ou des comorbidités, comme c’est le cas des tous les participant.es.

Photo 1 : Foule dans un centre commercial

Très vite, la discussion porte sur les mesures qui ont été prises pour limiter la propagation de la Covid-19. B., habitante septuagénaire, soulève très vite de nombreuses incohérences dans la gestion gouvernementale de la pandémie. Elle évoque la fermeture des marchés en extérieur, alors que les supermarchés continuent d’être ouverts. Une autre contradiction, selon elle, est liée au couvre-feu qui oblige les personnes à faire les courses en fin de journée, après leur travail, créant une concentration de la population qui permet difficilement d’appliquer la distanciation physique. B. souligne aussi ces nombreuses interdictions qui s’imposent aux habitant.e.s et qui, de son point de vue, peuvent pousser la population à vouloir les transgresser. Dès sa première prise de parole, cette femme assume une posture qu’elle qualifie elle-même de « très politisée ». Dans le cadre des organisations politiques et syndicales dans lesquelles elle s’implique depuis une cinquantaine d’années, B. a appris à exprimer ses doutes et une vision critique, ce qu’elle fait aujourd’hui aussi, dans cet espace de réflexion collective, malgré le fait qu’ « on peut rapidement passer pour un complotiste ».

Au fil de la discussion, les tensions entre responsabilité collective et responsabilité individuelle apparaissent. K., une habitante de Lormont d’une vingtaine d’année, évoque les repas de famille, les mariages, les fêtes, et cette envie de se retrouver, bien que les risques de propager le virus soient toujours là. Où « placer le curseur » entre liberté individuelle et responsabilité collective ? B. pense que « les gens doivent continuer à vivre, malgré le couvre-feu et les mesures ! », chagrinée par l’annulation du mariage de son fils.  K. raconte que les retrouvailles avec ses proches, prévues de longues dates, ont été annulées. Elle a avancé l’argument de la responsabilité collective de ses sœurs face à la pandémie, malgré la forte envie de retrouver son entourage autour d’un moment convivial.

Photo 2 : L'accolade sous plastique

MC., autre habitante septuagénaire de la commune, montre la photo qu’elle a choisie : deux personnes se prenant dans les bras, séparées par une bâche en plastique. C’est un « rideau à câlins », astuce mise en place dans certains établissements pour personnes âgées afin de permettre le contact entre proches, tout en évitant les contaminations. MC. explique que cette image lui fait beaucoup de peine car elle lui rappelle à quel point elle a été coupée de sa famille : « ça me fait de la peine, je ne vois plus mes petits-enfants, je ne vois pas mon fils depuis août 2020 ». B. rebondit en opinant que « les personnes âgées sont plus maltraitées que le reste de la population (…). J’ai une amie qui est décédée d’un cancer et qui n’a pas pu voir son mari avant de mourir, c’est beaucoup de peine, de détresse ». Les réactions des autres participant.e.s insistent sur les conséquences de l’isolement que vivent de nombreuses personnes et soulignent l’importance de préserver les liens affectifs, le contact. Dans ce contexte de pandémie, les contacts physiques représentent un risque, mais comment est-il possible de considérer ces liens familiaux, amicaux, amoureux comme non essentiels ? Ce sujet provoque de nombreux échanges sur des situations vécues tout au long de cette année, souvent difficiles à raconter encore aujourd’hui.

P. prend la parole pour expliquer qu’il se sent tiraillé entre différents sentiments : d’un côté, la crainte du virus et de l’autre, le désir de pouvoir embrasser ses proches. Quand sa famille se retrouve chez sa sœur, personne ne porte de masque : « je suis le vilain petit canard qui respecte la distance, le seul à porter le masque ». Il voudrait beaucoup les prendre dans ses bras, mais il ne peut pas et préfère rester à distance, tout en gardant son masque : « je n’arrive pas à embrasser ma mère de 85 ans, j’aimerais mais je n’y arrive pas, je n’y arrive pas, j’ai peur ». La santé fragile de P. lui génère une grande angoisse depuis la pandémie.

En discutant du port du masque, le groupe aborde les changements de comportement des personnes pendant la pandémie. Selon K., les personnes se renferment davantage chez elles. Après plus d’un an de pandémie, des habitudes se sont créées et certains comportements ont été intériorisés. Elle donne l’exemple de l’Habitat Jeunes où elle habite et où les jeunes ne sortent plus de leurs logements -pourtant exigus- et n’occupent plus (ou très peu) les espaces collectifs. Une image bien différente de celle qui circule dans les médias qui dépeignent une jeunesse insouciante face à la pandémie.

Pour B., la pandémie a exacerbé les comportements agressifs. Elle raconte la fois où elle était dans le parc pour promener son chien. Elle ne portait pas de masque parce qu’il n’y avait personne et qu’elle était en extérieur. Soudain, une dame croise son chemin et l’agresse verbalement, en lui reprochant de ne pas porter de masque. Agressive à son tour, B. ne s’est pas reconnue. Elle trouve cette évolution des relations sociales très inquiétante.

Photo 3 : L'attestation

C’est au tour de B. de montrer l’image qu’elle a choisi : l’attestation de déplacement. « J’ai choisi cette photo pour l’infantilisation de la population (…) on se fait un papier pour s’autoriser soi-même à sortir, c’est le comble ! » Elle souligne l’agacement ressenti face au fait de devoir imprimer une nouvelle attestation à chaque fois qu’elle sortait de chez elle, pour promener son chien en pied d’immeuble. B. a donc décidé d’utiliser une seule attestation, en indiquant la date et l’heure en bas de la feuille. Ainsi, au moment de sortir, elle découpait le bas et inscrivait une nouvelle date plus haut sur la feuille. « J’avais développé ma stratégie », dit-elle fière d’elle et en riant.

Mais, cela n’empêche pas B. de ressentir beaucoup de colère. En tant qu’ancienne soignante, elle pense que le confinement, les attestations et l’isolement des personnes auraient pu être évités s’il y avait eu plus de lits dans les hôpitaux. Face à l’argument de certain.e.s sur la gratuité des test PCR en France, elle rappelle que « c’est la sécu qui paie ». Avec toutes les dépenses liées au contexte actuel, elle se demande quel sera l’avenir de la Sécurité Sociale : « je suis très en colère depuis 1 an et demi : il y a la colère d’avant sur la casse des hôpitaux publics, la colère de maintenant sur la gestion de la pandémie et la colère de l’après, sur l’avenir de ma petite fille de 18 ans ».

Quand il s’agit de se projeter dans l’avenir, le thème de l’écologie surgit. Les participant.e.s s’expriment sur les quantités de papier utilisées pour les attestations, mais aussi sur le nombre de masques jetables et de gants qui ont été utilisés, et réalisent collectivement « qu’avec la pandémie, nous avons fait de gros pas en arrière sur ces questions très importantes ».

Photo 4 : Le télétravail

Jessica choisit de parler du télétravail, en soulignant la difficulté à concilier les activités domestiques et les activités professionnelles, notamment avec des enfants en bas âge. Loubna partage cet avis. L’isolement et ses conséquences reviennent au centre des échanges. Selon B., le télétravail est synonyme d’isolement et de manque de relations sociales et politiques. le télétravail est synonyme d’isolement : les relations sociales au travail manquent. Elle avait très peur de se retrouver seule, ce qui n’a finalement pas été le cas, mais elle ajoute : « ma meilleure amie vit à 50km, on ne se voit plus (…) la vie est chamboulée, quand même ». D’autres participant.e.s parlent de ce sentiment de saturation ressenti à leur domicile, où ils et elles ont passé trop de temps, et qui est parfois vécu comme oppressant. K. raconte son expérience de télétravail « à deux », puisqu’elle était avec son mari à la maison : « matériellement c’est compliqué, on n’a qu’une table et mon mari a plusieurs ordis pour son travail, alors je travaille sur le lit ».

Photo 5 : Le test PCR

La dernière photo choisie par Sofia est l’occasion de faire un tour de table sur l’expérience du test PCR. MC. raconte qu’elle a dû faire deux tests l’un à la suite de l’autre, parce qu’ayant la cloison nasale déviée, l’infirmière n’était pas allée assez loin : « j’ai eu mal à la tête 8 jours ! ». De son coté, P. explique qu’il a voulu se faire tester immédiatement lorsqu’il a découvert qu’il y avait eu un cas positif à la Composterie. L’attente du résultat a été terrible : il a tourné en rond chez lui toute la journée et n’a pas dormi de la nuit. « Quand j’ai su que c’était négatif, j’ai sauté partout comme un fou, j’étais comme un gosse à Noël, j’ai attrapé ma femme et je l’ai embrassée ! ». La causerie touche à sa fin, les participant.e.s s’échangent leurs impressions pendant qu’ils et elles rangent les chaises et récupèrent leurs affaires.

P. avoue que même si c’est dur de revenir sur certains moments de la pandémie, ça lui a fait du bien d’en parler, il a l’impression qu’on lui a enlevé un poids. De son côté, B. affirme que « ça ne m’a pas enlevé ma colère mais c’est bien d’écouter le vécu des autres, de s’écouter… ».  En quittant la salle, elle parle de son vécu dans ce quartier dans lequel elle habite depuis seulement deux ans. A ses yeux, la pandémie a considérablement dégradé le quotidien, et notamment le rapport avec les jeunes. Toutes et tous s’accordent sur le fait qu’un climat d’agressivité, de défiance, plus pesant qu’auparavant, s’est développé avec la pandémie, ce qui ne change en rien l’attachement qu’ils et elles ont à leurs quartiers.

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